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Oumar Kateb Yacine de l’Institut Afrique Emergente : « une longue transition n’est pas si mauvaise à condition qu’elle soit inclusive et consensuelle »

14 mai 2022

INTERVIEW] La durée de la transition à 36 mois que vient d’entériner le CNRD, la crispation du dialogue socio-politique et la possibilité de sortie de crise sont des sujets que nous avons abordés dans cet entretien avec Oumar Kateb Yacine, analyste-consultant de l’Institut Afrique Emergente

Mediaguinee : Quel est votre avis sur le chronogramme de la Transition adopté le mardi dernier par le CNT et validé depuis hier par le CNDR ?

Oumar Kateb Yacine : Personnellement, je ne suis pas contre une transition de 3 ans ou quatre ans. Je l’avais déjà dit dans le passé. Trois années pourraient être consacrées aux différentes réformes qui vont aboutir à une autre forme de gouvernance plus participative, décentralisée, justement équilibrée entre les régions et surtout axée vers le progrès. La quatrième année, réservée aux consultations électorales : le référendum et les élections générales. Nous devons pouvoir organiser toutes nos élections en un seul jour. Avec la digitalisation, cela est possible maintenant. Des pays africains le font. On l’a vu en Sierra Leone tout près de nous ici. Mais un scrutin presque chaque année dans un pays si pauvre, cela contribue à gripper les activités économiques et crisper l’atmosphère socio-politique. Nous devons sortir de cette situation de crise perpétuelle.

En résumé, une longue transition n’est pas si mauvaise mais à condition qu’elle soit inclusive et consensuelle.

D’aucuns disent que le CNT n’avait pas la légitimité de définir la durée de la Transition. Qu’en dites ?

Tout à fait, si on se fie à l’article 77 de la Charte de la Transition qui stipule que « La durée de la Transition sera fixée de commun accord entre les forces vices de la Nation et le Comité National du Rassemblement pour le Développement ». A mon avis, il fallait laisser cette question au dialogue inclusif d’abord pour trouver un chronogramme consensuel.

Ceci dit, je pense que le CNRD doit écouter ceux qui ne sont pas d’accord. Les partis majoritaires et la société civile sont incontournables. Le changement générationnel de la classe politique dont parle une certaine opinion doit se faire par les urnes. Une telle révolution ne se décrète pas. C’est un long processus. Le Colonel Président ne doit pas suivre des opportunistes. C’est vrai que tout n’est pas sein. Mais, il faut nous éviter toute violence dans ce pays. D’où la nécessité impérieuse du dialogue inclusif franc et du consensus. Rien n’est tard pour le moment.

Mais le CNRD interdit aussi les manifestations de rue pour les circonscrire seulement aux  sièges des partis politiques et des organisations de la société civile.

C’est une violation flagrante des droits de l’homme. Une décision malencontreuse poussant à l’affrontement entre les protagonistes. Malheureusement, la junte à force de mépriser la classe politique et certaines organisations de la société civile comme le FNDC, finit par se créer une opposition. Vous avez suivi, la réaction du FNDC. Pourtant celui-ci, au lendemain du putsch s’est offert le luxe d’effectuer une tournée dans la sous-région pour dire à certains chefs d’Etat d’être cléments envers la Guinée.

Oui, mais le CNRD à son tour,  a libéré les prisonniers politiques, ouvert le siège de l’UFDG, levé les PA en haute banlieue et restauré la libre circulation aux opposants dont le régime d’Alpha Condé refusait la sortie du pays ?

Tout à fait ! Mais Colonel Mamadi Doumbouya et ses hommes ne pouvaient faire que ça. C’était le gage d’une réconciliation entre l’armée et son peuple. Un peuple qui les a adoubés dès les premières heures du coup d’Etat. Les militaires avaient besoin d’assoir leur légitimité.

De facto, en voulant interdire les manifestations politiques, le CNRD va en porte-à-faux avec la Charte de la Transition qu’il nous a parachutée en lieu et place de la Constitution. L’article 8 de cette charte dit que « Les libertés et droits fondamentaux sont reconnus et leur exercice est garanti aux citoyens dans les conditions et les formes prévues par la loi. Aucune situation d’exception ou d’urgence ne doit justifier les violations des droits humains ». Il n’y a pas plus claire que ça.

A votre avis, que faut-il faire pour éviter le clash ?

Le clash est là déjà. Il faut que les militaires acceptent de dialoguer avec les acteurs concernés, et surtout écouter le peuple. Rien n’est perdu pour le moment.

Dernière question ; attendez-vous à des sanctions contre la Guinée par la CEDEAO dans les jours à venir si toutefois la junte ne se plie pas à ses exigences ?

La CEDEAO fait ce que veulent Bruxelles et Paris. C’est un club de chefs d’Etat, marionnettes au profit des puissances étrangères.  Or, l’Union Européenne dit prendre note du chronogramme défini par la junte tout en exhortant les Guinéens au dialogue. Ce n’est pas pour rien que la CEDEAO traîne les pas au sujet de la Guinée et du Burkina Faso. Le grand péché de Bamako est d’avoir fait appel aux Russes (Wagner) pour combattre les djihadistes. Donc attendons de voir.

Nous disons seulement au Colonel Mamadi Doumbouya de prendre l’avis de tous les Guinéens pour la conduite à tenir. En période de transition, seul le peuple a la légitimité.

S’il se met à écouter des sirènes à voix mélodieuse, la fin du bal serait triste. Il n’en a pas besoin, je pense ; et tous les Guinéens sincères aussi ne veulent plus de violences. Il nous a promis que le Guinée ne va plus mourir pour des faits politiques. Il nous a dit aussi que le Guinéen respecte sa parole. Donc, il faut aller au dialogue franc et inclusif mon Colonel pour aboutir au consensus car l’arrogance conduit au regret. « Toujours le chef est seul en face du mauvais destin», un enseignement du Général de Gaulle.

Propos recueillis par

Alpha Ibrahima Diallo

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Last modified: 14 mai 2022

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